Dans une démarche d’intelligence territoriale, il est question de munir le territoire de capacités d’action qui s’appuient sur des décisions informées, pertinentes et proactives et des valeurs de partage,
d’échange de collaboration et d’amitié qui s’appuient sur la proximité et les liens sociaux. Les technologies de l’information et de la communication sont alors d’une grande utilité dans une telle démarche.
Reste que le recours à ces technologies doit s’opérer avec une attitude pharmacologique. Or presque rien ne prédispose l’université marocaine, et encore moins les territoires, à avoir cette attitude. Les médias, les rapports de plusieurs organisations et organismes internationaux, les intellectuels et experts les plus en vue et bien entendu les multinationales, en particulier celles qui opèrent dans le domaine du logiciels et infrastructures informatiques ou de communication prêchent les avantages des TIC et les promesses inouïes qu’elles nous amènent.
On observe ainsi que le langage « ambiant » truffé de concepts comme « smart city », « open data », « Big data », « territoire augmenté », « cloud »,… auquel les stratégies Marketing de puissantes multinationales associent des valeurs et des vérités qui ne sont que des facettes partielles d’une réalité idéalisée, capture les stratégies territoriales et même universitaires et s’accapare de parties importantes du budget dans plusieurs institutions nationales sans de véritables questionnements en amont ni de véritables retombées en aval.
Les universitaires, en l’absence du recul nécessaire et d’une vision globale des mutations technologiques et des conséquences qu’elles entrainent, renfermés qu’ils sont dans leurs logiques biaisées et cloisonnements disciplinaires handicapants, adhèrent avec un positivisme naïf aux bienfaits sans limites de la technologie pour certains ou, pour d’autres, rejettent en bloc ou supportent avec suspicion et impuissance, toutes les innovations technologiques en cours. Les raisons avancées par les uns et par les autres ne sont guère plus développées que celles partagées par le commun des marocains, tous niveaux d’instruction confondus. Or seule une véritable compréhension du développement des révolutions technologiques, les transformations sociales, économiques et géopolitiques que cela provoque, nous permettrait d’en mesurer l’ampleur, d’en saisir les opportunités et d’en réduire les conséquences non souhaitées.
Nous pensons que la révolution technologique en cours constitue pour l’université à la fois un objet-prétexte de recherche et un moyen à mobiliser afin de s’ouvrir sur son territoire. Si on peut accepter que les acteurs locaux : communes, administrations, associations, entreprises,… éprouvent quelques difficultés à saisir ou ignorent les vrais enjeux des TIC, l’Université ne doit pas bénéficier de la même indulgence. En effet, son rôle de lieu de création et de diffusion des savoirs lui assigne de se saisir de ce qui bouleverse et transforme en profondeur notre société, de créer les conditions et de conduire les débats et de favoriser le croisement des points de vues et de critiques nécessaires à l’élucidation des dynamiques en cours et de proposer les prescriptions qui en découlent. D’autant plus que cet objet de recherche est éminemment valorisant pour l’université à un moment où la légitimité de celle-ci est en phase d’érosion.
Les TIC offrent aussi un moyen efficace, et aujourd’hui incontournable, pour s’ouvrir sur son territoire. Le numérique permet de mettre en place différents types d’interfaces d’échange et de communication entre l’Université et son environnement immédiat. Dans un travail précédent nous avons montré comment nous nous sommes organisés au sein de l’Université Hassan 1er pour concevoir et mettre en place un système d’information territorial. Plusieurs acteurs locaux sont associés à ce projet avec un triple objectif: conduire le changement pour une ouverture réelle de l’université sur son territoire, expérimenter des modèles théoriques en rapport avec le concept d’intelligence territoriale, et enfin, faire bénéficier les acteurs territoriaux de l’expertise universitaire et les encourager à intégrer utilement le numérique dans leurs stratégies de développement local.
Le développement d’un système d’information territorial constitue pour notre démarche un enjeu de première importance.
Le système d’information territorial
La complexité du contexte telle que décrite depuis le début de ce travail montre que le développement du système d’information territorial ne doit pas se réduire à la mise à la disposition des acteurs locaux de solution informatique. L’approche se fera nécessairement par des essais-erreurs-adaptations-expérimentation. En effet, le processus de développement est aussi important, sinon plus, que la qualité et la performance de la solution finale. D’ailleurs ce processus qu’il faut mener à un « rythme territorial » n’a pas pour seul objectif le livrable final. Au moins quatre objectifs intermédiaires seront pris en compte:
– Servir de prétexte pour animer le réseau d’acteurs locaux
– Favoriser l’apprentissage par les échanges autour de la conception du système d’information et le choix des technologies à adopter
– Identifier les signaux faibles qui serviront par la suite à identifier des projets précurseurs qui permettront de cultiver notre démarche en mode émergence
– Réunir un maximum d’informations sur le territoire pour initier une stratégie d’open data
– Rétablir la confiance des acteurs dans une université comme acteur attaché à son territoire et comme support de la dynamique de développement local et promouvoir la culture de l’offre et du partage par la mise à disposition de tous les acteurs de solutions développées par l’université.
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